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11 Novembre 1918
26 octobre 2006

André Bonneval - 415e R.I.

Lundi 11 novembre, 7 heures du matin… Le capitaine Lebreton, commandant le 3e bataillon du 415e R.M.I.A. « s’extrait » de la niche creusée dans la paroi de l’immense trou d’obus qui, depuis la veille 10 heures du matin, lui sert de poste de commandement. Après avoir soulevé sa toile de tente, raide comme une tôle par la condensation et le gel (-6°), il se lève ainsi que ses voisins : le lieutenant Motton, son adjoint, puis son commandant de compagnie de mitrailleuses et d’engins, le lieutenant Bonneval, et l’adjudant de bataillon Chambaz.

Tous, tels des chiens mouillés, s’ébrouent et remettent de l’ordre dans leur tenue.

Un brouillard intense règne sur les rives de la Meuse. Le jour peine à percer, la nuit a été insupportable ; bombardement de l’ennemi très violent sur la tête de pont établie la veille sur la rive droite par le régiment. Impossible de fermer l’œil et pourtant au passif, sept nuits blanches vécues sous la pluie et dans les fossés des routes. On casse la croûte, les conversations s’ébauchent, puis elles s’animent. On parle de la nuit du samedi 9 au dimanche 10 où l’on pensait prendre un repos bien gagné à Feuchères, à Sapogne, avec la pensée secrète que la paix serait signée à brève échéance.

Et puis la Meuse (de la voix même du général Boichut, commandant la Division) était un obstacle infranchissable avec le peu de moyens mis à notre disposition. On parle du réveil inopiné, puis de la descente en silence sur la rive gauche, les acrobaties sous les tirs de mitrailleuses, de l’écluse sautée, de l’ossature de la passerelle métallique de 80 mètres de long sur laquelle ont été jetés en hâte des madriers récupérés dans le fleuve, madriers étroits, branlants et verglacés.

Mais en un monôme interminable, dans le brouillard, grâce au bruit du barrage, le régiment a exécuté l’ordre impératif du maréchal Foch : établir coûte que coûte, à n’importe quel prix et sans délai une tête de pont sur la rive droite de la Meuse.

On saura plus tard que cet ordre était donné pour forcer les plénipotentiaires allemands à signer les conditions de l’armistice.

On discute toujours au P.C. : on parle de la marche dans le brouillard le dimanche 10 et, dès que celui-ci était tombé de la rencontre nez à nez avec la garde prussienne : le régiment de Grenadiers, le 4e de la Garde à pied, le régiment de Fusiliers de la Garde (les Maikafer) et un régiment d’instruction (Lehr Régiment), trois bataillons du 357e Fusiliers et trois bataillons du 116e régiment d’Infanterie. Des attaques, contre-attaques soutenues par une artillerie puissante qui ont pilonné le terrain entre les lignes avancées de l’ennemi et la Meuse. Bien que visée, la passerelle, peut-être à cause de son étroitesse, a tenu bon. On reparle de la contre-attaque de 13 heures où l’on a cédé un peu de terrain mais non sans infliger à l’ennemi des pertes très sévères. De la dernière contre-attaque allemande de 16 heures sur Nouvion qui a échoué grâce à nos tirs de mitrailleuses. Et de la nuit épouvantable que l’on vient de vivre ! On dénombre déjà 37 tués et plus de100 blessés.

Vers 8 heures, le timbre du téléphone vibre. Le caporal téléphoniste Guillermin reçoit un message du P.C. du colonel : « Remettre de l’ordre dans vos unités. Vous tenir prêt à reprendre la marche en avant. Recevrez instructions ». Le message lu à haute voix provoque quelques plaisanteries parmi les agents de liaison. « Hein, toi qui disais samedi que la paix allait être signée dimanche matin ? Tu l’as, ta paix ? Puis t’as entendu ce qu’a dit X : « Il y a des troupes en kaki au patelin qu’on a traversé dans la nuit de samedi à dimanche, c’est sûrement Mangin qui va nous relever. »

A 10 h. 10, dans un brouillard qui se lève péniblement, un coureur tenant à la main droite un papier plié déboule dans le P.C. Essoufflé, il jette ces mots : « Ça y est… Signé… Fini… 11 heures ! » et il remet au capitaine Lebreton, impassible, le papier. Ce dernier le déplie et le lit lentement. Il le relit et jette sur l’assistance un regard circulaire, puis il lit à haute voix : 9 h. 45, Maréchal Foch télégraphie : « 1° Les hostilités seront arrêtées sur tout le front à partir du 11 novembre, 11 heures (heure française) ; 2° Les troupes alliées ne dépasseront pas la ligne atteinte jusqu’à nouvel ordre au jour et heure. Signé Foch. » Puis, note du colonel : « A 11 heures, les commandants de compagnie feront exécuter les sonneries suivantes : 1° Garde à vous ; 2° Cessez le feu ; 3° Au Drapeau. Après l’exécution de ces sonneries, les hommes agiteront leurs fusils avec leurs mouchoirs. On chantera la Marseillaise. »

Tout le monde est interloqué, on a peine à comprendre mais on se ressaisit vite. L’adjudant de bataillon Chambaz dicte les ordres aux agents de liaison, auxquels il ajoute les paroles du premier couplet et du refrain de la Marseillaise.

Les agents de liaison partent vers leurs compagnies respectives en ajoutant : « Ce n’est pas le moment de se faire tuer… »
Très bien. Mais il faut maintenant trouver un clairon. Le temps presse ; Gazareth, l’agent de liaison de la C.M. 3, se rappelle que dans un trou d’obus voisin où s’était installée une partie de la liaison, il a vu Delaluque, clairon à la 11e Compagnie, subsistant à la C.M. 3. Pourvu qu’il soit là avec son clairon, car les gars de la clique n’avaient pas l’habitude de monter en ligne avec leurs instruments. Or, par hasard, Delaluque avait son biniou. Gazareth et Delaluque gagnent le trou d’obus du capitaine Lebreton en rampant car le jour s’est levé et les mitrailleuses allemandes tirent sur toutes les cibles qui se déplacent. Le capitaine Lebreton annonce à Delaluque que dans quelques instants (un coureur du P.C. du colonel a apporté l’heure officielle pour le réglage des montres, confirmée par téléphone) il va avoir à sonner le Cessez le feu. Stupéfaction de Delaluque qui avoue ne pas se rappeler cette sonnerie (la dernière fois il l’avait exécutée en 1911 au champ de tir). Le capitaine Lebreton, accroupi, en battant la mesure, lui siffle les notes. Compris ! Delaluque est ému. On le voit cherchant dans sa musette, dans ses poches de capote. Qu’est-ce qui se passe ? Il cherche son embouchure qu’il découvre dans une des poches de sa vareuse. Elle est pleine de tabac. Il la nettoie. Le capitaine Lebreton s’impatiente car l’heure fatidique approche. Delaluque assure son embouchure et discrètement vers le sol il essaie son instrument. Une rafale d’obus de gros calibre passe au-dessus des têtes et s’abat sur Dom-le-Mesnil. Pour vaincre son émotion, car les balles sifflent encore, le lieutenant Bonneval offre un quart de pinard à Delaluque qui s’aplatit sur la paroi nord du trou d’obus.

10 h. 58… 59… 11 heures.

Le capitaine Lebreton laisse passer quelques secondes et fait signe au clairon. Celui-ci, le buste hors du trou, lance alors par coquetterie le refrain du régiment : Ils z’en ont plein les c…

Puis, se redressant, petit à petit le Garde-à-vous : « A droite la musette, à gauche le bidon, nous sommes de la Classe et demain nous partons ». Un temps, le Cessez le feu : « T’as tiré comme un cochon (un temps), t’auras pas de permission ».

Se redressant, puis tout droit : Au Drapeau !

Il répétera les sonneries vers l’est, puis à nouveau face au nord, puis à l’ouest. Les trompettes allemandes répondent par leur classique Ta ta ta ta – ta ta ta ta.

C’est fini, nous sortons tous des trous d’obus et chantons la Marseillaise. Nous nous regardons, nous essayons de comprendre et l’adjudant de bataillon Chambaz lance ce mot : « C’est la fin de notre jeunesse ».

Le capitaine Lebreton, accompagné du lieutenant Bonneval, fait le tour des lignes. Ils rencontrent un major allemand en grande tenue, absolument impeccable, et lui demandent de ramener les corps des soldats français tués sur la voie ferrée. Le major allemand qui parle un français excellent dit que c’est un devoir pour lui de rendre les derniers honneurs à des soldats qui ont fait le sacrifice de leur vie la veille de la fin de la guerre, et qui se sont bien battus (sic).
On saura, quelques heures plus tard, que ces combats qui fournirent la matière des trois derniers communiqués de la guerre ont coûté :

- 415e R.M.I.A. : 58 tués, 92 blessés, dont 3 disparus récupérés le 11 novembre après-midi.
- 142e R.I. : 15 tués, 60 blessés.
- 19e R.I. (22e D.I.) : 12 tués, 28 blessés.
- Génie : 1 tué, 10 blessés.

Au total : 86 tués, 190 blessés dont les 3 disparus récupérés.

Enfin que Delaluque, le véritable Clairon de l’Armistice, n’a pas eu de citation à l’occasion de la sonnerie du « Cessez le feu » en plein combat…

Lieutenant André Bonneval, 3e Cie de mitrailleurs, 415e R.I., in "Almanach du Combattant", Durassié et Cie, 1968. (Contribution de Jean-Claude P. Merci !)

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