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11 Novembre 1918
30 octobre 2006

Charles François - 356e R.I.

Charles François - 356e R.I.

11 novembre – Au matin, alerte.

Même ordre que la veille. Mais cette fois, les Allemands rebiffent : leur artillerie ne cesse d’ailleurs de tirer.

Nous nous heurtons à nouveau à l’épais réseau de barbelés : il faudrait de forts explosifs pour y créer une brèche. Nous avançons un peu, mais à grand peine.
A notre droite, deux hommes du 367e, qui tentent de percer, sont tués à coups de mitrailleuse.

9 h. 25 : nous apprenons la signature de l’armistice par un agent de liaison qui court au-dessus de la tranchée, et précise que le feu doit cesser à 11 heures. Allégresse générale.

Le Commandant Fromentin me charge d’aller en aviser les Allemands, par mesure de courtoisie. Je prends avec moi deux sous-officiers, Lhernaut et Gérier, et nous avançons en appelant et en agitant nos mouchoirs, pas très blancs.

Surprise : l’ennemi vient de lâcher sa première ligne ; nous réussissons, en y mettant pas mal de temps, et en déchirant nos uniformes, à nous faufiler à travers les ronces de fil de fer, mais, aussitôt après, faisons éclater plusieurs pièges, groupes de neuf grenades à manche reliés à un fil habilement dissimulé.
Au bout de 400 mètres, nous nous demandons s’il est bien utile de continuer à risquer la mort en un pareil moment, quand nous apercevons, à cinquante mètres, dépassant d’une tranchée une quinzaine d’Allemands, ou plus exactement une rangée de têtes surmontées du calot à bande rouge ou verte, curieuse impression d’un jeu de massacre de foire.

Approchant à quelques pas d’eux sur le terre-plein, je leur annonce la « Fried » la paix – ne sachant pas comment se traduit le mot armistice – et les avise que le feu cessera à « elf Uhr », à onze heures.

Aucune réaction en face : les Allemands paraissent inexpressifs ; puis ils se réunissent dans leur tranchée en un long conciliabule, à l’issue duquel trois d’entre eux daignent venir auprès de nous,  et nous disent : « Vous reculez d’un kilomètre, et nous aussi ».

Je leur réponds que la question ne se pose pas du tout ainsi, et qu’ils doivent se préparer à partir très vite « über Rhein », de l’autre côté du Rhin. Cela les met en fureur, et les « Nein, niemals ! »,  non, jamais ! explosent sur le ton guttural que chacun connaît.

Je mets fin à la discussion en leur disant que je ne suis pas venu pour parler de dispositions à  prendre, mais uniquement par pure politesse pour les informer du cessez-le-feu. Nous nous saluons, raides et secs, à quelques mètres : aucune poignée de mains ne fut échangée ; puis nous partons dignement, en faisant sauter de nouveaux pièges, et en jetant de temps en temps un coup d’œil en arrière pour voir si ces Allemands hargneux ne nous suivent pas pour nous jouer quelque mauvais tour.

A 10 heures 50, un dernier obus allemand est tombé sur la compagnie.

Charles François, in "Mémoires de l’Académie de Stanislas", année 1978-1979, 7e série – tome VII, pp. 273-308. (Contribution d'Eric M. Merci !)

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