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11 Novembre 1918
29 octobre 2006

J. Ruffiandis - 53e R.I.

Je n'ai pas dormi ; assoupi par instants, réveillé par les explosions, je suis allé plusieurs fois au téléphone, car la ligne a pu être établie avec le 53e hier au soir, en fin de journée.

Au point du jour, une rumeur suivie d'un concert d'exclamations joyeuses me font bondir sur les pieds ; on m'apporte triomphalement au bout de papier jaune, où je lis : "Les hostilités cesseront à 11 heures précises ; faire sonner la halte au feu !"

Je hurle : "Les agents de liaison à moi ! Copiez cette note et communiquez ça en vitesse à vos compagnies ; que tout le monde reste terré jusqu'à 11 heures, ce n'est pas le moment de se faire moucher ; qu'on envoie les clairons à mon P.C."

Quels cris dans notre cave :

- Enfin, ca y est ! on les a eus, etc. !, etc. !

Comme c'est long trois heures à passer quand on attend le signal de la résurrection. Les deux artilleries tirent, elles vident leurs caissons.

11 heures moins 10.

Je sors de la cave avec le caporal-clairon. La rue est déserte. Un chuintement qui se rapproche, menaçant, nous fait bondir d'instinct au fond de l'abri ; trois marmites s'écrasent au milieu de Dom-le-Mesnil ; l'une d'elles explose devant notre maison, les vitres tintent sur les pavés. Ouf ! on l'a échappé belle ! Ah ! les salauds !

Ce sont les derniers obus de la guerre que nos oreilles entendront ; c'est aussi notre dernière minute de peur.

11 heures.

Les clairons réunis au milieu de la rue, à côté de l'entonnoir récent, encore chaud, sonnent le "Cessez le feu" à s'époumonner, aux quatre points cardinaux ; ils vont ensuite répéter cette sonnerie aux lisières du village. Sur la rive nord, les aigres cornets des allemands répondent.

Par mon ordre, un piano est traîné au miliu de la chaussée ; je monte sur une table et pendant qu'un téléphoniste tape à tours de bras sur le Pleyel, je dirige avec mon makila une "Marseillaise" formidable chantée par mille bouches ; poilus et civils réunis fraternellement.

Puis on s'embrasse sans distinction de costume ou de grade, d'âge ou de sexe ; les civils pleurent, nous pleurerions aussi si nous osions.

Nous nous dirigeons ensuite vers l'église où l'aumônier du 415e dirige un "Te Deum".

De l'autre côté  de la Meuse, les fritz sont debout, ni joyeux, ni peinés ; on va voir de près ces ennemis qui ont arrêté hier la ruée du 415e ; c'est le régiment des Maïkafer, des Hannetons, régiment de fusiliers de la 3e division de la Garde. Ils ont 48 mitrailleuses pour le régiment. Evidemment, c'est une force terrible à laquelle on ne pouvait se heurter qu'avec des pertes élevées. Dans l'après-midi, on enterre deux morts du 415e ; on n'a pas encore pu ramener les autres, une quarantaine environ.

Toute la population de Dom-le-Mesnil, le 415e et le 2e bataillon du 53e accompagnent au champ de repos ceux qui sont morts la veille de l'armistice, la veille de la délivrance : mort deux fois cruelle !

In J. Ruffiandis, "Carnet de route d'un ancien du 53e", Imprimerie de l'Indépendant, Perpignan, 1936, pp. 291-293.

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