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11 Novembre 1918
28 octobre 2006

Albert Burner - 415e R.I.

Les bataillons ont franchi la Meuse dans la nuit du 9 au 10. Très, très durs combats le 10 et la nuit du 10 au 11.

Le canon tonne sans arrêt, les marmites allemandes tombent sur Dom-le-Mesnil. Les équipes de téléphonistes volants de la C.H.R. sont à l’abri, près du bureau de poste, dans une cave dont la voûte résonne à chaque arrivée.

De temps à autre, un coureur arrive du P.C. du colonel pour demander qu’une équipe (deux hommes) parte en réparation sur telle ou telle ligne coupée par la mitraille. A 7 heures du matin, mon camarade Quin et moi sommes désignés pour rétablir la liaison coupée avec la brigade.

Pour échapper aux tirs des mitrailleuses qui balaient la route de Flize, nous nous abritons dans les fossés. Par venu à l’intersection de la route qui conduit au Pont de Nouvion, nous rétablissons la liaison. Les tirs de mitrailleuses s’intensifiant, nous respirons.

Il est environ 8 heures quand, sortant du brouillard, venant de Flize, nous voyons un cycliste qui, à toutes pédales, échappant aux rafales qui giclent agite un papier en passant à notre hauteur et nous crie : « C’est fini, ça y est c’est fini », et continue vers Dom-le-Mesnil. Nous revenons vers Dom sous le feu des mitrailleuses.

Arrivés au P.C. du colonel, nous apprenons que la fin de la guerre est pour 11 heures et que le fil que nous venons de réparer a transmis la confirmation de la nouvelle.

Nous sommes joyeux. Mais nous songeons qu’il y a encore deux heures à attendre l’heure fatidique en tendant le dos. Ces deux heures passent lentement. Les obus allemands tombent toujours sur le village.

A 11 heures précises, sortis prudemment de notre abri, nous écoutons. Une salve de 155, partie de Sapogne, éclate en fusants très haut dans le ciel ; ce sont nos artilleurs qui, à leur manière, nous indiquent l’heure. Et aussitôt, venant du Nord, de la rive droite de la Meuse, nous arrivent très faiblement les sonneries de clairon de Cessez le feu, Garde à vous et Au Drapeau. Ça y est. C’est vraiment fini…

Nous nous embrassons ; l’abbé Guitton, aumônier divisionnaire, survient et nous embauche pour aider quelques civils à débarrasser l’église de la paille accumulée par les Allemands. Il tenait, avec l’accord du vieux curé de Dom-le-Mesnil, à célébrer un Te Deum.

Cette cérémonie eut lieu à midi. Le général Boichut, commandant la Division y assistait avec nombre d’officiers d’état-major et de troupe ainsi que de simples poilus encore porteurs de leurs armes et quelques civils.

Pendant l’office, deux cercueils contenant les restes du sous-lieutenant Dupin, de la 7e Cie, tué le 10, et du téléphoniste Charreton de la C.H.R. tombé aux premières heures du 11 furent amenés.

Après le Te Deum, l’absoute fut donnée par l’aumônier. Les deux cercueils, portés à l’épaule par des soldats dont j’étais, furent conduits au cimetière de Dom-le-Mesnil en présence des chefs qui avaient assisté à l’office et des habitants de Dom que les Allemands n’avaient pu évacuer.

Vers 14 heures, pour la première fois depuis deux jours, nous reçûmes un repas chaud car les roulantes avaient enfin pu nous joindre. En même temps arriva un ravitaillement de munitions et de signaux. Si les premières s’avéraient inutiles, les fusées servirent à un feu d’artifice de jour dont le souvenir n’est pas près de s’effacer de ma mémoire.

A 16 heures, désignés avec mon collègue Jaupitre pour une réparation vers la passerelle, nous pûmes voir, alignés près de la maison du gardien du barrage, les corps d’une vingtaine de nos camarades tués les 10 et 11 au matin et qui avaient été rassemblés en ce lieu aussitôt que le Cessez le feu l’avait permis.
Et le soir vint. De retour dans notre cave nous nous endormîmes, le sommeil troublé par le rappel des dernières heures que nous venions de vivre et par le silence auquel nous n’étions plus habitués.

Albert Burner, ex-téléphoniste au 415e R.I.., C.H.R., in "Almanach du Combattant", G. Durassié et Cie, 1968, pp. 51-53 (Contribution de Jean-Claude P. Merci !)

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